dimanche 22 mars 2015

[Parution] K. Anderson | Marx aux antipodes : nations, ethnicité et sociétés non occidentales [Syllepse, 2014]



Selon une présentation trop rapide, Marx n’aurait été que le théoricien du capitalisme des sociétés occidentales. L’auteur du Capital n’a pourtant pas ignoré le reste du monde.

En effet, son installation à Londres l’a placé au cœur du plus grand empire mondial. Ce poste d’observation l’amènera à prendre en compte les sociétés non-occidentales et le colonialisme auxquels il consacrera une part importante de son travail. L’ouvrage nous dévoile cette part essentielle et toujours actuelle, et souvent ignorée, de l’œuvre de Marx.

Ce livre s’intéresse aux écrits de Marx sur des sociétés qui, de son vivant, se situaient pour la plupart à la périphérie du capitalisme. Il s’agit d’une approche inédite des rapports raciaux et coloniaux dans l’œuvre de Marx. L’auteur s’intéresse particulièrement aux contributions moins connues de Karl Marx, tels que ses articles publiés dans le New York Tribune et ses carnets, pour certains inédits, de la période 1879-1882, consacrés aux sociétés non-occidentales et précapitalistes. Il examine la théorisation que fait Marx d’un certain nombre de sociétés non-occidentales de son temps – de l’Inde à la Russie en passant par l’Algérie et la Chine – et des relations qu’elles entretiennent avec le capitalisme et le colonialisme. Il revient sur son approche des mouvements d’émancipation nationale, en particulier en Pologne et en Irlande et leurs rapports avec les mouvements démocratiques et socialistes de l’époque. Apport souvent occulté, la théorisation de Marx des relations qu’entretiennent race, ethnicité et classe, qu’il s’agisse de la classe travailleuse noire aux États-Unis pendant la guerre de Sécession ou de la classe ouvrière irlandaise en Grande-Bretagne, est également étudiée. Acteur engagé, Marx apporte en effet systématiquement son soutien à des mouvements pour l’indépendance comme ceux de Pologne et d’Irlande, ainsi qu’à la cause anti- esclavagiste aux États-Unis. Il rappelle que les mouvements ouvriers qui ne soutiennent pas les mouvements nationalistes progressistes ou qui ne combattent pas le racisme à l’égard des minorités ethniques à l’intérieur de leur propre société courent le danger d’entraver, voire de mettre fin à leur propre développement et de dégénérer. Pour l’auteur, « le prolétariat de Marx n’est pas seulement blanc et européen mais comprend également les travailleurs noirs aux États-Unis de même que les Irlandais qui ne sont pas considérés comme “blancs” à l’époque par les cultures dominantes britannique et nord-américaine ». Marx est donc d’abord un théoricien global dont la critique sociale envisage les notions de capital et de classe de manière assez large et ouverte pour inclure les particularités liées au nationalisme, à la race et à l’ethnicité, ainsi qu’aux variétés diverses de développement humain, social et historique, depuis l’Europe jusqu’à l’Asie et des Amériques à l’Afrique. Pour Kevin B. Anderson, « Marx est un théoricien dont la conception du capitalisme en tant que système social n’en fait pas un universel abstrait mais qu’elle est parcourue par une vision sociale riche et concrète dans laquelle universalité et particularité interagissent dans le cadre d’une totalité dialectique ».


La préface à l’édition française du texte, avec laimable autorisation des éditeurs, est disponible sur le site Marxismes au XXIe siècle.  



 


jeudi 12 mars 2015

[Parution] C. Delphy | Pour une théorie générale de l’exploitation : l’extorsion du travail non libre (Syllepse, 2015)


 
Comment en finir avec cette exploitation radicale qu’est le travail domestique des femmes ? – Pourquoi et comment 15 % du PIB sont fournis gratuitement par les femmes au profit des hommes ? Selon l’Insee, 15 % du PIB valorisés à 292 milliards d’euros, ou encore 60 milliards d’heures travaillées, ont été, en France, fournis gratuitement. Le nom de cette activité ? Le travail domestique assigné à une partie particulière de la population : les femmes. On a beaucoup glosé et parfois « regretté » la répartition « inégalitaire » des tâches domestiques, sans pour autant vouloir, prononcer le mot d’ exploitation. Le « travail ménager », qui repose sur les femmes, reste donc un marqueur fondamental de la société. On ne constate dans ce domaine aucune réelle évolution positive : il apparaît comme une contrainte immuable attachée « naturellement » aux femmes. À la question de savoir pourquoi cette situation d’inégalité et d’exploitation persiste, Christine Delphy répond par un implacable constat : parce qu’il y a des bénéficiaires à cette situation, les hommes. « Le travail ménager ne bénéficie pas au capitalisme, mais aux hommes, écrit-elle, ajoutant, pour enfoncer le clou, à la théorie du “profit pour le capitalisme”, j’oppose depuis longtemps celle du « profit pour la classe” des hommes. »» Dans cet ouvrage court et concis, elle décortique les mécanismes de cette extorsion de travail gratuit. Il ne s’agit pas pour elle de la survivance d’un archaïsme, mais d’un élément constitutif du fonctionnement normal de la société et plus précisément de ce qu’elle appelle le « mode production domestique » dont elle expose ici le fonctionnement. Il faut revenir à une analyse à la « racine » de la réalité. C’est l’objet premier de ce livre qui propose une « théorie générale de l’exploitation » du travail domestique qui ne se réduit pas au travail au ménager.

Elle met en lumière une « division sexuelle du travail » qui articule une hiérarchie dominatrice et une exploitation. Les mouvements féministes, qui ont, depuis longtemps, dénoncé la « double journée de travail », ont apporté des analyses différentes sur lesquelles Christine Delphy revient. Elle discute également la conception marxiste de l’exploitation qui ignore, ou oublie, les conditions générales de son exercice et réduit celle-ci au périmètre de l’extraction de la plus-value. Elle indique enfin des propositions pour en finir avec cet esclavage domestique. Elle nous propose avec cet ouvrage un précis radical sur l’exploitation et l’oppression de la seconde moitié de l’humanité au profit de la première

La préface de Mélissa Blay et Isabelle Courcy au livre de C. Delphy est librement accessible sur le blog Entre les lignes, entre les mots.







mardi 10 mars 2015

[Parution] Marx politique (La Dispute, 2015)






Marx est un penseur politique majeur, en dépit de préjugés qui demeurent tenaces. Mais en quoi consiste précisément sa pensée politique ? Pour répondre à cette question, ce livre présente des recherches internationales récentes, qui renouvellent le regard sur Marx – théoricien, journaliste et militant – et affirment l'actualité de sa pensée.
Cet ouvrage collectif aborde divers terrains : philosophie, histoire, économie, théorie politique, question sociale. Stathis Kouvélakis montre que la critique de l’État, remise sur le métier au fil des évolutions historiques et politiques, le conduit à repenser les rapports entre économie et politique. Ellen Meiksins Wood relie critique du capitalisme, analyse des luttes de classe, examen des questions de la démocratie, du genre et de la race, en les replaçant dans une perspective historique de longue durée. Kevin Anderson remet en cause l’idée reçue d’un Marx ethnocentriste et insiste sur sa réflexion concernant les sociétés occidentales. Guillaume Fondu aborde de façon critique l'économie politique hétérodoxe contemporaine. Antoine Artous revient sur la théorie de la valeur en discutant un livre de Moishe Postone qui a fait date.
Fenêtre ouverte sur un marxisme contemporain divers et vivace, ce livre montre que l'oeuvre de Marx et ses prolongements sont indispensables pour penser la transformation sociale et l'action politique aujourd'hui. Les deux textes anglais sont traduits par Paul Guillibert et Frédéric Monferrand.

Table des matières
Chapitre 1. Marx et la forme politique, par Stathis Kouvelakis,
Chapitre 2. Capital et classe, mais pas seulement : Marx à propos des sociétés non-occidentales, du nationalisme et de l'ethnicité, par Kevin B. Anderson (traduit par Frédéric Monferrand)
Chapitre 3. Capitalisme et émancipation humaine, par Ellen Meiksins Wood (traduit par Paul Guillibert)
Chapitre 4. Hétérodoxie et critique de l’économie politique, par Guillaume Fondu
Chapitre 5. L’actualité de la théorie de la valeur de Marx. A propos de Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale, par Antoine Artous

J.-N. Ducange et I. Garo (dir.), Marx politique. Paris : La Dispute, 2015 ; 256 p.