mercredi 9 septembre 2009

Nouveautés

Deux nouveaux textes viennent d’être remis en ligne sur le site du séminaire. Antipolis de André Tosel et Pour une théorie de la violence du regretté Georges Labica qui nous a brutalement quitté cette année.

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André Tosel, Antipolis : vers l'autoliquidation de la démocratie ?

Chapitre 6 : Antipolis, vers l’autoliquidation de la démocratie ? Conjoncture : l’étouffant consensus autour de la démocratie régime – La théorie pure de la démocratie moderne : qui est le peuple ? Qui le représente ? – La révision critique de la démocratie procédurale et le marché politique néocorporatiste selon Hans Kelsen et Joseph Schumpeter – L’utopie paradoxale de la démocratie néocorporative – L’autoliquidation actuelle de la démocratie devenue autiste et autoréférentielle (Danilo Zolo) – La production du consensus par les medias – Le recours de la démocratie processus.

I. Conjoncture

La démocratie libérale représentative est la pièce essentielle du consensus de notre époque avec l’économie capitaliste. La fin du communisme soviétique a semblé un temps avoir réglé définitivement par la négative la question de possibilités alternatives. Il est devenu immoral de nourrir des soupçons sur le fondement et la portée effective de cette démocratie. Les organismes internationaux, les grandes puissances, États-Unis en tête, le droit international s’accordent pour faire du passage à la démocratie la condition de toute reconnaissance politique et de toute aide économique données à un État. L’horizon d’un État démocratique mondial semble être à l’ordre du jour.

La démocratie moderne a clôturé la question classique de la philosophie politique, celle qui traitait de la question du meilleur régime et rendait possible la recherche du bien commun et de l’excellence humaine. Elle assume son refus de toute détermination substantielle de ce bien commun et elle se contente de n’être que la méthode procédurale la plus adéquate pour rendre possible à tous les citoyens la jouissance des droits fondamentaux de liberté et d’égalité, ces acquis historiques devenus bien universel. Cette méthode est celle de la représentation et elle a pour instrument l’opinion commune, à défaut d’une impossible vérité. C’est ce que répètent ad nauseam les grands théoriciens libéraux de notre temps comme Bobbio (1984, 1991, 1999), Dahl (1989), Habermas (1992), Rawls (1993), après Kelsen (1988 et Aron (1965).

Une philosophie responsable ne peut ignorer ce résultat de l’histoire du XX° siècle, conquis sur la défaite des systèmes autocratiques. Elle ne peut davantage se limiter à une simple apologie de la démocratie contemporaine. La philosophie contemporaine en France, en particulier, a choisi majoritairement la voie de l’élaboration des principes normatifs de la démocratie libérale représentative, suivant en cela le grand mouvement néo-contractualiste initié par A Theory of Justice (1971) de John Rawls. Ainsi a-t-on voulu réaffirmer l’autonomie de la politique contre le réductionnisme économique et social dont s’était rendue coupable la théorie marxiste, elle-même discréditée par son incapacité à se délier de sa sujétion à l’État despotique et à son triple monopole, politique, économique et spirituel. Ainsi s’est-il agi de mettre à distance avec la science politique positive et son scientisme naïf. S’est imposée l’idée qu’il y avait des principes normatifs éthico-politiques qui fondent leur puissance de contrainte logique sur leur contenu propre, c’est-à-dire sur une anthropologie ontologique liant la vraie nature de l’homme aux procédures de la liberté.

Ce normativisme s’est renforcé avec la pénétration de ce que l’on a nommé la réhabilitation de la philosophie pratique, renforcement contradictoire toutefois en ce que cette thématique était souvent critique de la fondation libérale néo-contractualiste (Hannah Arendt, Leo Strauss). La conjoncture est toutefois majoritairement dominée par les débats anglo-saxons entre, d’une part, libéraux et communautariens (Mac Intyre, Sandel, Charles Taylor), libéraux radicaux (Hayek, Nozick) et libéraux sociaux (Rawls lui-même, Habermas). Ce dernier occupe une place singulière en ce qu’il combine en sa pensée une analyse des processus effectifs et une théorie normative de l’agir communicationnel, parvenant ainsi à donner à sa théorie normative de la démocratie une consistance socio-historique supérieure. Il suffit de considérer le Dictionnaire des idées politiques de Philippe Reynaud et de Stéphane Rials et le Dictionnaire des idées morales de Monique Canto-Sperber pour se rendre compte de cette écrasante dominance du normativisme libéral-social.

En France, cette orientation a pris la forme d’une inflation juridico-morale (ainsi que l’attestent les travaux notables d’Alain Renaut, Pierre Manent, Paul Ricœur, Jean-Marc Ferry et ceux des spécialistes de Hobbes, de Locke, de Constant et de Tocqueville. Le lien est rompu avec les analyses réalistes et historiques des processus économiques, politiques et sociaux, dont Raymond Aron avait été le brillant exemple libéral tout au long de sa polémique avec le marxisme. Des approches logico-empiriques comme celles de la Philosophie politique d’Éric Weil, au croisement de Kant, de Hegel et de Max Weber, ont été sans lendemain.

Un lourd silence, pour ne pas dire une crasse ignorance, recouvre en effet, du côté des philosophes français, la théorie réaliste de la démocratie. Les synthèses déjà classiques de libéraux critiques comme Pareto, Kelsen, Schumpeter, ne sont pas sollicitées pour tempérer l’ivresse normative. Carl Schmitt, probablement le théoricien conservateur le plus puisant du siècle passé, est toujours un auteur maudit en raison de son ralliement au nazisme. Plus près de nous, les interrogations autocritiques de sociologues, de juristes et de politologues libéraux, comme Ralf Dahrendorf, David Held, Danilo Zolo et Niklas Luhmann, sont superbement laissées de côté malgré leur richesse et leur pertinence. En France, en philosophie politique, seuls tentent de combiner approche normative et réalisme socio-historique des dissidents et rescapés du marxisme classique qui combinent à une autocritique de la catastrophe du communisme soviétique et des essais refondateurs de la théorie de la démocratie (Cornélius Castoriadis, philosophe de l’autonomie et Claude Lefort, penseur de l’invention démocratique, d’une part, et, de l’autre, Etienne Balibar, Jean-Marie Vincent, Jacques Rancière, Jacques Bidet, Jean Robelin et quelques autres).

Nous voudrions contribuer à réveiller de son sommeil dogmatique la théorie de la démocratie, en procédant d’abord à la reconstruction de la théorie pure de la démocratie, de ses problèmes internes et de ses apories (I). La prise en compte de ces difficultés s’est révélée dans la pratique historique des régimes démocratiques obligeant à une révision réaliste, avec la théorie de la démocratie néo-corporative (le marché politique et la démocratie définie comme « entreprise politique » selon Weber, Kelsen et Schumpeter). (II). Le cours de la réalité a rendu enfin elle-même inadéquate cette théorie qui entendait préserver l’essentiel de la procédure démocratique et de ses libertés. La crise structurale de la représentation démocratique s’est aiguisée ces derniers temps, à l’époque de la mondialisation capitaliste, dans le sens d’une crise permanente de l’entreprise démocratique, laissant apparaître le péril inédit d’une autoliquidation de la démocratie libéral-sociale sous la forme d’un régime bonapartiste soft multi-médial, véritable anti-polis contemporaine (III). En conclusion, nous évaluerons les chances et les formes d’une relance de la démocratie comme processus.


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Georges Labica, Pour une théorie de la violence
Avant d’en venir à une exposition plus systématique, je voudrais proposer, de façon à dessein abrupt, les quelques paradoxes qui m’ont retenu et qui me paraissent susceptibles de provoquer la réflexion

1. L’objet violence possède une extension infinie et une compréhension quasi nulle.

2. la violence n’est pas un fait naturel, mais un fait culturel.

3. La fin de la rareté n’a pas mis fin à la violence.

4. La condamnation unanime de la violence n’a pas entraîné sa réduction

5. Les diagnostics critiques de la mondialisation lui sont inadéquats.

Il nous faut partir d’un constat évident. La place occupée aujourd’hui par la violence, au vrai par les violences, n’a jamais été aussi importante. Elle apparaît comme la préoccupation principale de l’humanité. Elle est vécue comme une fatalité, aboutissant à la fois à une résignation à l’ordre établi et à la fascination d’un voyeurisme de masse

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